Dermatose associée à l’incontinence
La Dermatose Associée à l'Incontinence (DAI)[1] correspond aux lésions cutanées provoquées et entretenues par l'incontinence urinaire et/ou fécale. Elle appartient au groupe des dermatoses liées à l'humidité (MASD pour Moisture Associated Skin Damage).
AVERTISSEMENT → ne seront évoquées ici que les lésions chez l'adulte et la personne âgée
L'incontinence et ses complications
Urinaire et/ ou fécale[2]
Incontinence urinaire (IU)
- Perte complète et involontaire des urines
 
- 10 à 35 % des patients à domicile
 
- 50 % des résidents en EHPAD
 
Incontinence fécale (IF)
- Perte involontaire des matières fécales solides ou liquides
 
- 23 à 66 % des résidents en EHPAD
 
Incontinence mixte (IM)
- 50 % des résidents en EHPAD
 
Effet de l'incontinence sur la peau
Spécificité de la peau âgée
- La peau normale a un effet barrière lié à la couche corne et à l'acidité de sa surface (pH entre 4 et 6)
 
- Chez la personne âgée, il existe des anomalies spécifiques qui favoriseront la survenue de DAI :
 
- - altération de la fonction barrière de la couche cornée
 
- - diminution du pH qui est donc plus alcalin
 
- - diminution des sécrétions sudorales et sébacées
 
- - atrophie cutanée
 
Excès d'humidité
- L'incontinence (IU ou IF ou I mixte) provoque une macération à la surface
 
- Cet excès d'humidité provoque :
 
- - une altération de la couche cornée → hyper hydratation des cellules (cornéocytes) qui aboutit à une rupture de cette couche
 
- - destruction du film hydro-lipidique
 
- - une inflammation épidermique
 
- - des micro-lésions ou de véritables dermabrasions
 
Augmentation du pH cutané
- Cette alcalinisation de la peau est liée à plusieurs éléments :
 
- - à l'humidité
 
- - à l'urée des urines qui se transforme en ammoniac sous l'effet
 
Action des germes digestifs
- Risque infectieux
 
- Transformation de l'urée des urines en ammoniac → modification du pH de la peau
 
Conséquences
- Réaction inflammatoire → vasodilatation et infiltration de polynucléaires
 
- Auto-entretien de l'inflammation
 
- Érythème + douleur + fragilité
 
DAI
Epidémiologie
- Prévalence et incidence probablement sous-estimées en raison de critères diagnostiques non standardisés
 
Prévalence
- Enfants → 7 à 35 %
 
- Adultes et patients âgés
 
- - de 25 à 50 % en service de médecine & chirurgie
 
- - de 50 à 80 % en soins intensifs et réanimation
 
- - plus de 40 % en EHPAD
 
Incidence
- Risque de survenue d'un épisode de DAI quand le patient est hospitalisé
 
- Incidence globale de 3.5 à 25 %
 
- - 1 à 5 patients incontinents sur 10 présenteraient des signes de DAI
 
- - en unité de soin intensifs → incidence de 5 à 40 %
 
- - en EHPAD → incidence de 8 %
 
Délai d'apparition moyen de la DAI
- En service de médecine et chirurgie → 14 jours
 
- En soins intensifs → 4 jours
 
Facteurs de risques de la DAI
| Facteurs liés à l'incontinence | ||
|---|---|---|
| Type d'incontinence | 
 - Risque plus important si IF  | |
| Fréquence des pertes | ||
| Prise en charge | Risque  plus élevé si - Soins d'hygiène et change du patient insuffisants  | |
| Autres facteurs | ||
| Peau fragilisée | Peau âgée | |
| Perte d'autonomie | 
 - Mobilisation réduite  | |
| Dénutrition | ||
| Comorbidités | 
 - Obésité  | 
Aspect clinique[5]
- La DAI est définie par une inflammation de la peau au contact des urines et des selles, avec ou sans érosion
 
Localisation
- Atteintes multiples et souvent confluentes en grande nappe
 
- La DAI atteint préférentiellement les convexités → fesses, organes génitaux et racine des cuisses
 
- Atteinte des plis
 
- - les plis inguinaux sont initialement respectés
 
- - le pli fessier peut être touché notamment en cas d'IF
 
- Atteinte variable selon le sexe
 
- - Chez la femme → atteinte des grandes lèvres et de la vulve
 
- - chez l'homme → atteinte du scrotum et des fesses
 
- Localisation spécifique en cas de diarrhée
 
- - atteinte péri-anales + pli fessier
 
- - extension à la face postérieure des cuisses voire au dos
 
Symptomatologie
- Signes fonctionnels
 
- - inconfort / Douleurs / Sensation de brûlure
 
- - altération de la qualité de vie
 
- Erythème
 
- - rouge violacé
 
- -vernissé, luisant
 
- Érosions superficielles
 
- - plaies suintantes douloureuses
 
- - de taille variable
 
Catégorisation de la DAI
- Une catégorisation simple est proposée → voir la photo à droite
 
Absence de lésion
Catégorie 1
- Érythème sans effraction cutanée
 
Catégorie2
- Érythème + Érosions +/- Vésicules ou Pustules
 
Diagnostic différentiel
DAI et escarre
- Les deux pathologies des facteurs de risques en commun, une localisation voisine, des aspects cliniques parfois proches
 
- Par ailleurs, la survenue d'une DAI favorise l'apparition d'escarre
 
- Ces deux pathologies peuvent donc coexister mais il faut toutefois les différencier
 
| Paramètre analysé | DAI | Escarre | |
|---|---|---|---|
| Cause | Incontinence | Pression / Hyper appui / Cisaillement | |
| Localisation | 
 - Périnée / zone ano-génitale  | 
Essentiellement les zones en regard d'une proéminence osseuse ou d'un dispositif médical | |
| Signes cliniques | Douleur / Brûlure / Prurit | Douleur | |
| Aspect | Étendue | Diffuse / Plusieurs zones +/- confluentes | Localisée à la zone de l'appui | 
| Bords | Irréguliers / Émiettés | Nets | |
| Couleur | Érythème qui blanchit à l'appui | Pas de blanchiment à la pression | |
| Profondeur | Lésions superficielles | Lésions profondes possibles (stade 3 ou 4) | |
| Nécrose | Absence au moins en début d'évolution | Nécrose d’apparition rapide | 
Devant un aspect évocateur de DAI il faudra savoir évoquer d'autres pathologies (→ avis spécialisé dermatologique indispensable)
- Eczéma
 
- Psoriasis
 
- Lichen
 
- Candidose
 
Extension
- Si la DAI et l'incontinence ne sont ou ne peuvent être prises en charge, les lésions s'étendent sur des zones plus vastes → dos, cuisses et abdomen
 
- Les érosions deviennent prédominantes et parfois hémorragiques
 
- Évolution nécrotique → cette situation est rare et doit faire évoquer une escarre
 
Complications
Infection candidosique
- Il faut y penser en présence de pustules disséminées, sans limite nette, autour de la lésion initiale
 
Infection bactérienne
- Souvent en localisation péri-anale
 
- Aspect très inflammatoire
 
- Dans les formes sévères, apparition d'une dermohypodermite bactérienne fébrile qui est une urgence
 
Risque de survenue d'escarre
Prise en charge d'une DAI
Prise en charge de l'incontinence
| Identifier et traiter les causes accessibles | 
 -Infection (Clostridium difficile)/ Diarrhées / Constipation / Fécalome  | 
| Modification de l'environnement | 
 - Accès facilité aux toilettes  | 
| Gestion de l'incontinence urinaire | 
 - Évitez les changes trop occlusifs  | 
| Gestion de l'incontinence fécale | 
 - Évitez les changes trop occlusifs  | 
Soins locaux[6][7]
Hygiène
| Avec quoi ? | 
 - Lavage eau + savon sans antiseptique ni produit irritant  | 
| Quand ? | 
 - 1 fois par jour au moins  | 
| Comment ? | 
 - Éviter tout traumatisme et friction excessive → attention aux gants de toilette (jetable ou non) et aux compresses tissées qui peuvent aggraver la situation  | 
Protection
- Protection de la peau altérée et/ou de la peau saine mais à risque
 
- Crème barrière → topique qui, une fois appliqué, réalise un écran protecteur entre la couche cornée et l'humidité et restaure le film lipidique de la peau
 
- - sous forme de crème, gel, mousse ou film protecteur
 
- Différentes spécialités assurent cette fonction avec des concentrations différentes → aucun des ces produits n'est remboursé
 
| Diméthicone | Oxyde de zinc | Acrylate | 
|---|---|---|
| Aldanex® | Conveen Protact® | Cavillon Spray® | 
| Cavillon crème® | Menalind® | Cavillon Advanced Skin Protectant® | 
| Escar Protect® | Secura crème® | Secura Spray® | 
- Comment les appliquer ?
 
- - crème, gel, mousse → en couche mince, par effleurage (ne pas chercher à faire pénétrer, ce n'est pas le but, au contraire!)
 
- - films protecteurs → appliquer sur peau sèche
 
- Quand les appliquer ?
 
- - à chaque change pour les crèmes, gel et mousses
 
- - 1 fois par jour pour les films protecteurs
 
Réparation
- Réparation des altérations cutanées
 
- On utilise des topiques émollients
 
- Dans notre équipe, nous utilisons volontiers un dermocorticoïde en l'absence de signe d'infection, en cure courte, avec un relais rapide par un émollient
 
CONTRE-INDICATIONS
- Hydrocolloïdes → effet occlusif qui va majorer les effets de l'humidité
 
- Super-absorbant → douloureux au retrait
 
- Pansement adhésif (tous) → douloureux au retrait
 
- Colorants (éosine / violet / fluorescéine...) → ils cachent les signes locaux
 
- Antiseptiques → inutiles et dangereux
 
Autres mesures
Traitement de la douleur
- Certaines formes de DAI sont hyperalgiques avec hyper-esthésie cutanée rendant le soin parfois difficile
 
- Traitements médicamenteux de la douleur si besoin
 
- Privilégier les traitements non médicamenteux
 
- - éviter les gants et les compresses pour la phase de lavage
 
- - gestes doux, si besoin réalisés à la main gantée avec gant de vinyl
 
- - évitez l'anesthésie locale
 
Traitement d'une éventuelle infection
- Ne pas proposer d'antibiotique ni d'antifongique en l'absence d'un diagnostic parfaitement établi
 
- - les antifongiques locaux sont trop souvent utilisés sans preuve de la présence d'une candidose
 
- - les antifongiques per os peuvent être envisagés sur avis médical
 
- Si le diagnostic est difficile ou douteux → avis spécialisé en dermatologie
 
Prévention de la DAI
Chez qui ?
- Tout patient reconnu incontinent sans lésion → ni rougeur, ni érosion
 
- - être bien conscient que tout patient incontinent est à risque de présenter une DAI
 
- En structure hospitalière ou en EHPAD, il est absolument fondamental de repérer et de tracer les patients incontinents
 
- - les aides-soignants ont un rôle essentiel à ce stade
 
- - discussion en équipe des mesures à prendre
 
Comment prévenir ?
- Soins d'hygiène quotidiens et après chaque miction ou émission de selles
 
- Appliquer un produit barrière
 
- - au moins 1 fois par jour pour les formes films
 
- - après chaque change pour les formes crème, gel ou mousse
 
- Ne pas utiliser de Pâte à l'eau → ces produits sont également à base d'oxyde de zinc mais n'ont rien à voir avec les crème barrière à l'oxyde de zinc
 
- - produit trop occlusif qui camoufle la peau et devra être frotté pour être retiré avec un risque de lésion induite
 
- Ne pas utiliser de compresse dans les plis
 
Références
- ↑ https://elevate-assets.s3.amazonaws.com/tools/files/24/original/Dermite_Incontinence_Prevention_Wounds.pdf
 - ↑ Beeckman D et al. Prevention and treatment of incontinence associated dermatitis: litterature review. J Adv Nurs 2009;65(9):1141-1154
 - ↑ Woo K et al. Management of moisture associated skin damage. Adv Skin Wound Care 2017;30(11):494-501
 - ↑ Coyer F et al. An interventional skin care protocol -InSPIRE) to reduce incontinence associated dermatitis in critically ill patients in the intensive care unit: A before and after study. Intensive Crit Care Nurs 2017;40:1-10
 - ↑ McNichol L et al. Incontinence-Associated Dermatitis: State of the Science and Knowledge Translation. Adv Skin Wound Care 2018;31(11):502-513.
 - ↑ Lumbers M. How to Manage Incontinence-Associated Dermatitis in Older Adults. Br J Community Nurs. 2019;24(7):332-337.
 - ↑ Van Wissen K, Blanchard D. Preventing and Treating Incontinence-Associated Dermatitis in Adults. Br J Community Nurs 2019;24(1):32-33.
 
